25 février 2013

Repartir pour mieux revenir


À Phnom Penh, j'ai été malade! Rien pour me traîner jusqu'à l'hôpital, mais une grosse grippe d'homme qui ne finissait plus. Phnom Penh est une étrange capitale : elle se développe à l'image de ceux qui la dirige et de ceux qui l'habite, un mélange de chaos anarchique, de joyeuse nonchalance, de profonde corruption, de survie déglinguée. Sauf la grande promenade qui longe le Mekong sur plus d'un kilomètre , bordée de resto et de cafés pour touristes friqué, Phnom Penh n'est pas une ville piétonnière.
La grande rue qui longe le Mekong

L'incessante sollicitation des chauffeurs de tuk-tuk devient vite harassante. Ils doivent certainement être des milliers, que dis-je des millions, à pratiquer cette activité lucrative et pas trop fatigante, tellement on ne peut pas faire un pas dans la rue sans se faire tirer la manche. J'en ai fait sourire jaune plus d'un quand JE leur offrait MON tuk-tuk de luxe, ou quand je courais leur serrer la pince en me présentant après qu'ils m'aient hélé en criant « Hello mister! Tuk-tuk? », nice to meet you Tuk-tuk! Sur la route il n'y a aucune règle, en campagne comme en ville. Qu'il s'agisse de circuler à l'envers dans les sens-uniques, de s'élancer encore longtemps après que le feu soit viré au rouge pour tourner devant une route à 3 voies pleine de véhicules qui s'élancent aussi, la conduite cambodgienne tient du kamikaze. Aux rares endroits où se postent des policiers, les délinquants foncent et zigzaguent pour les éviter, tout simplement.
Le Cambodge tente, tant bien que mal, d'attirer les hordes de touristes en offrant les mêmes prestations que sa voisine, la riche Thaïlande, sans en avoir le raffinement. Vous trouverez nombre de salons de massage dont le personnel est composé de très jeunes femmes qui ne connaissent rien en la matière et qui prodiguent une heure de tâtonnements plus douloureux que relaxants. Le massage Khmer est ainsi promu et vendu, un peu plus cher même, dans tous les coins du pays fréquentés par les touristes.
Transport collectif

Le pays en entier étant à vendre au plus offrant, tous les états y voient une « occasion d'affaire » et y exploitent allégrement les gens et les ressources, tout en ayant une petite mission humanitaire qui paraît bien aux yeux de l'international. Cet « international » qui a fait la guerre pour aucune raison (comme toutes les guerres) et qui a laissé des stigmates tellement profonds sur plusieurs générations. Tous, sans exception, peuvent vous raconter une histoire d'horreur familiale. Il faut d’ailleurs encore aujourd'hui des campagnes et des organismes pour prévenir la prostitution infantile. Quand l'homme n'a plus rien à perdre ni à gagner, il vend même ses enfants puisqu'il faut bien vivre et mourir. Mais qui blâmer? Le vendeur ou l'acheteur?
Un village flottant qui ne flotte pas quand ce n'est pas la saison de la flotte

Il n'y a d’ailleurs plus de culture quand la survie prend toute la place. Les temples et les monuments ne sont que des témoins silencieux d'un lointain passé, bon vendeur pour le touriste urbain en quête de mythe et d'aventure, mais inexistant dans le quotidien des ces gens battus par la cupidité des forts. Quand on a voulu mourir pour un grain de riz, on s'en contre-fou de savoir comment mettre la table. Les vestiges d'Angkor sont certes d'une splendeur grandiose, mais représentent d'abord et avant tout une mine d'or pour ceux qui les ont assiégés aujourd'hui, en profitent goulument maintenant, pendant que les véritables descendants crèvent s'ils existent encore.
Salon de barbier "au naturel"

C'est donc enchaîné par un rhume dans cette cité traumatisée que j'ai réfléchi longuement à ma vie, ce que je souhaite en faire dans le reste du temps qu'il me sera accordé d'en user. Deniz en avait profité pour s'esquiver un peu du tumulte pollué et grouillant en allant jusqu'à Kampot voir si c'était mieux. J'ai pensé à mes proches, ma fille, ma mère, ma sœur... Maman m'avait parlé de déménagé bientôt dans une « résidence », ma fille cherche un peu sa « vocation », ma sœur, on verra bien? L'idée que la femme qui m'a supporté et aimé inconditionnellement dans tous les moments de ma vie, tristes et heureux, aille lentement finir la sienne dans un parking à vieux, m'est devenu inadmissible. Je suis dans un moment charnière de mon existence, un instant où j'ai la possibilité de créer un futur incluant tous ceux que j'aime dans mon quotidien.

Toutes les options sont offertes
Quelques soient les opportunités que je puis envisagées pour vivre, je peux et je veux choisir celles qui me permettront de rendre ce qui m'a si généreusement été donné toute ma vie. Comme je sais que maman n'optera pas pour déménager à Bali ou à Jakarta, j'ai choisi de revenir au Québec. Mais il y a Deniz me direz-vous? Et bien Deniz est très enthousiaste à l'idée de venir habiter au Québec. Lors de notre visite, en 2012, elle avait déjà été charmé par nos contrées, par nos gens. Je ne lui ai pas encore dévoilé le côté grincheux et règlementeux de notre société, et pour ce qui est de la corruption il en faudra plus pour décourager une Turque. Nous avons déjà en tête plein de projets et le Québec se prête aussi bien que partout ailleurs pour les réaliser. Mais avant de nous transporter dans ces froides régions de la planète, il nous reste encore quelques mois pour partager l'aventure extraordinaire que nous vivons.
Une mer de possibilités

Il y a aussi toutes les procédures d'immigration que nous devrons traverser pour Deniz avec des gens qui ont la réputation d'être si charmants et attentionnés. En faisant les recherches appropriées, nous avons appris qu'il faut nous rendre à Singapour pour faire une telle démarche.
Et ainsi avons nous un peu changé notre itinéraire. Pour se rendre à Singapour il nous fallait retraverser la Thaïlande en faisant le tour du Golfe de Siam. Pour éviter le poste frontière infernal de Poipet, à cause de la meute de touristes qui y viennent une journée pour renouveler leur visa Thaï, nous sommes donc retourné par Koh Kong, non sans nous être auparavant arrêté 2 jours à Kampot, une charmante petite ville du sud cambodgien. Une courte pause de 3 jours à Bangkok s'imposait pour sympathiser avec notre ami Deaw qui fut notre plus dévoué serviteur durant tout notre séjour au royaume du Siam.
Bouddha en rénovation 

Nous filions ensuite vers Phuket, où un ami d'un ami (bien intentionné celui-là) nous attendait. Ce qui semblait au départ une agréable rencontre, s'est terminé d'une façon très amer. Je ne tiens pas à relater ici les détails de cette triste aventure, mais ce fut ma plus désagréable expérience d'hébergement en 3 ans de voyage et chez un québécois en plus. Deniz et moi en avons presque été malade. Malgré tous nos efforts pour mettre les choses au clair, ce monsieur, dont je tairai le nom, persistait à nous faire sentir combien nous abusions de sa « générosité ». Nous sommes parti en ayant l'impression de fuir une prison. Fort heureusement pour nous, la pratique quotidienne de yoga chaud au studio Bikram de Phuket, nous a permis de rester calmes, respectueux et courtois à travers cette désastreuse rencontre.
J'ai connu pire moment

Heureusement aussi que l'amabilité des thaïs était là pour nous remettre le moral en place. Nous avons filé vers Krabi, passé 2 jours dans un joli bungalow sur une plage magnifique près de Ao Nang, 2 jours sur l'île de Ko Lanta que nous avons parcouru dans tous les sens, et abouti à Mai Fat juste à temps pour le long congé national du Magha Puga, en espérant y faire une excursion de bateau sur les îles paradisiaques avoisinantes. Mais la pluie s'est mise à tomber dru sans interruption pendant près de 24 heures consécutives, rendant toute excursion navale peu attirante.
On s'élance demain vers Hat Yai, dernière étape en sol Thaï, avant de traverser la frontière de la Malaisie et passer une première semaine à George Town.
Petit bateau pour toute cette eau, mais le ciel est beau

On tente d'organiser notre retour en expédiant les motos depuis Singapour jusqu'à LA en Californie, pour ensuite parcourir la côte ouest américaine jusqu'à Vancouver et rentrer au Québec en traversant le Canada « d'un océan à l'autre ». Si le dossier d'immigration de Deniz est accepté dans les temps, nous arriverons à Montréal en juillet question de ne pas être trop dépaysé côté température. Mais ça fait bien des « si » et j'ai appris à m'adapter un peu quand les plans ne fonctionnent pas comme on le souhaite. La vie nous réserve tant de surprises.