23 février 2011

Méthode révolutionnaire






 Il fallait bien partir un jour de cet endroit paradisiaque et, ma foi, assez envoûtant. J'y étais parti en pensant n'y passer que trois ou quatre jours; j'y ai finalement séjourné quatorze jours. J'étais moi-même surpris, au moment de payer la note d'hôtel, à quel point le temps avait passé sans que j'y prête aucune attention. J'ai rencontré, à Siwah, des personnages très singuliers, des gens d'une gentillesse extrême. Tout d'abord Leigh. Leigh est d'origine néozélandaise. Son mari est ingénieur pétrolier et ils vivent à Londres, pour l'instant, avec leurs deux filles de vingt et vingt-deux ans. Ils ont l'habitude de déménager à peu près tous les cinq ans dans différents coins de la planète, au gré des assignations de son mari. Elle était assise dans l'avion et retournait à Londres, au début des manifestations, quand elle a soudainement
senti qu'il fallait qu'elle débarque et reste en Égypte.Elle a récupéré sa valise dans la soute, directement sur le tarmac, est sortie de l'aéroport et a pris un bus pour Siwah, sans trop savoir pourquoi. 

Nous avons eu de longues et nombreuses discussions sur l'énergie qui s'est emparée du monde arabe et sommes allés méditer à quelques reprises sur le sujet, au sommet des dunes en plein désert. Leigh s'est mise à l'écriture d'un premier livre et l'ambiance de Siwah l'inspire beaucoup.
J'ai aussi fait la connaissance d'Edmond. Edmond est un photographe Suisse de soixante-dix-neuf ans et n'eut été de son petit bonnet pointu aux couleurs extravagantes, on le prendrait aisément pour le Père Noël, avec sa barbe et ses cheveux longs, blancs comme la neige. Edmond a bourlingué partout sur la planète, mais surtout au États-Unis et au Canada, pour faire des photos de paysages qu'il vendait à des maisons d'éditions suisses. Bien qu'il possède une propriété au Texas, il a tellement souvent emberlificoté l'immigration américaine qu'il n'arrive même plus à obtenir un visa de touriste pour y retourner. Il vient à Siwah pour environ quatre mois depuis trois ans et il y loue un petit logement.
Maria et André m'ont aussi fait découvrir Baradîne, un autre petit village faisant parti de cette oasis immense, situé à une trentaine de kilomètres plus à l'ouest. Couple britannique vivant ici six mois par année, ils sont tous deux impliqués dans des projets de développement locale avec le village. Rendu-là, la frontière libyenne n'est plus qu'à une cinquantaine de kilomètre. Sur le sommet d'une petite colline, on y découvre des pétroglyphes(gravures ou empreintes de pieds selon les différents scientifiques consultés) qui dateraient de million d'années.
J'ai aussi profité de mon séjour à Siwah pour aprrendre les rudiments de la conduite dans le sable; rouler à 70 km/h dans le désert c'est une sensation indescriptible, un peu comme si on roulait sur l'océan.
 Le jour de mon départ le vent et les nuages me laissaient entrevoir une traversée ardue. Mais quelle ne fut pas ma surprise de constater qu'une fois sorti du creux de Siwah (Siwah est en-dessous du niveau de la mer, d'où les sources chaudes) le vent me poussait allégrement vers Matrouh. La route n'est qu'un très long ruban (300kms) de bithume en plein milieu du désert.

Une fois arrivé je suis retourné voir Joe pour le remercier de m'avoir conseillé d'aller là-bas. J'ai réussi à l'inviter à souper et c'est encore lui qui m'a suggéré de prolonger mon visa égyptien, maintenant que la vie reprend son cour normal, bien que dorénavant plus rien ne sera pareil ici. Le bureau d'immigration de Matrouh est désert et après avoir déposé ma demande, le temps de prendre un thé avec Joe et de le remercier encore, a suffit pour que j'obtienne un visa de trois mois.

L'Égypte renferme une multitude de sites en temps normal bondés de touriste. C'est pour moi une occasion inespérée de pouvoir les visiter sans la foule habituelle. Et comme je compte poursuivre plus tard ma route en remontant au nord vers la Jordanie, j'aimerais bien passer ce qu'il reste d'hiver au chaud, près de la mer. Les plages égyptiennes qui bordent la Mer Rouges sont aussi réputées pour leurs sites de plongée sous-marine fabuleux. Je ne vois donc aucune raison valable de quitter l'Égypte pour l'instant.
J'ai donc poussé ma Marseillaise et emmené Caliméro faire un tour à Alexandrie quelques jours et je fais maintenant mon baptême en tant que Couchsurfer au Caire. Le Couchsurfing c'est une façon sensationnelle de connaître des gens qui sont souvent eux-même voyageurs ou ont envie d'en rencontrer. Je suis hébergé gratuitement chez Ahmad, un cardiologue fort sympathique, qui habite dans la partie nord de la ville, le quartier d'Héliopolis.
Je croyais que les libyens étaient particulièrement dangereux au volant, mais les égyptiens surclasses tout ce que j'ai connu jusqu'à présent. Je vous fais grâce des détails pour ne pas inquiéter inutilement ma maman et je redouble de prudence et de vigilance dans ce capharnaüm routier.
Le premier endroit que j'ai voulu visiter ici, c'est la fameuse Place Tahrir, là où la toute récente révolution s'est tenue pendant dix-huit jours. Encore aujourd'hui et malgré le départ du dictateur, les jeunes continuent d'exercer une pression sur les décideurs afin que le pays ne retourne pas entre les mains de l'entourage proche et corrompu du clan Mubarak. 
À la lumière des évènements et de mes déplacements, vous vous doutez peut-être que je ne suis pas étranger aux chambardements socio-politiques qui se produisent actuellement dans le monde arabe. Afin de profiter de l'engouement passager pour la chose, je travaille à l'écriture d'un fascicule qui s'intitulera « Méthode simple et facile pour commencer et réussir une révolution ». Je suis aussi à la recherche de traducteurs/trices pour les versions chinoise et espagnole. Des suggestions?

Inch Allah

06 février 2011

Le Capitaine Popov au pays des Pharaons

La Libye est une ancienne colonie italienne, très fréquentée par les Grecs et les Romains à leurs époques de gloire respectives. La partie nord-est, de Banghazi jusqu'à la frontière égyptienne, en conserve encore beaucoup d'influences tant par les vestiges qu'elles y ont laissé que dans la vie de tous les jours, chez ces gens fiers et très accueillants. C'est aussi une géographie verdoyante et montagneuse qui contraste énormément avec la quasi totalité restante du pays plutôt désertique.

Par les temps qui courent, le colonel Kadhafi redouble d'effort pour plaire à son peuple afin de ne pas se faire montrer la porte, comme c'est le cas chez ses voisins proches. La construction de logements pour les plus démunis connaît un essor impressionnant et presque tous reçoivent de l'aide financière. Les importants revenus du pétrole seraient sans doute difficiles à dissimuler... et ne sauraient qu'enrichir ce vieil homme rébarbatif et entêté. 
Mais je remercie Dieu ET Allah (dans l'ordre et le désordre) qu'aucune révolution ne s'y soit embrasée pendant les quelques jours qu'ont duré ma traversée: c'eut sans doute été une bonne chose pour ce peuple, mais un peu louche en ce qui concerne mon passage en ces lieux. Peut-être suis-je celui « par qui le changement arrive »? Mais je vous jure qu'aucune mission ne m'a été confiée!
En quittant Derna, dont voici quelques images, je n'avais aucune idée de l'épreuve qui m'attendait.
 Après avoir franchi la frontière égyptienne et passé plus de cinq heures à obtenir tous les documents nécessaires (moto oblige), j'ai eu une pensée pleine de compassion pour Astérix et un de ses douze travaux. En plus je demeure convaincu que ma nationalité et les évènements qui chamboulent le pays ont contribué à accélérer ma démarche; c'est peu dire! Je n'ai jamais cru possible devoir un jour affronter bureaucratie aussi monumentale. À la sortie du poste frontière il faisait
nuit noire. Heureusement que le village le plus proche n'était qu'à une douzaine de kilomètres de là. J'avais par contre un sérieux problème de liquidité: les douaniers m'ont extorqué jusqu'au dernier dinar libyen que j'avais en poche, pour les formalités d'entrée de ma Marseillaise. Toute forme d'institution financière, incluant les guichets, étaient totalement dysfonctionnelle pour un nombre indéterminé de jour. J'expliquai ma situation au tenancier du seul hôtel du village qui a gentiment accepté de m'héberger pour la nuit à « la moitié du tarif habituel » quand j'ai vidé mes poches devant lui et qu'il en est sorti vingt dinars qui s'étaient miraculeusement tapis au fond d'un replis.
Au réveil, j'avais 270 kilomètres à parcourir avant d'arriver à la première ville qui pouvait me permettre de retirer des livres égyptiennes et remplir mon réservoir d'essence. Il me restait très exactement assez d'essence pour me rendre à Matrou, la plus importante station balnéaire à l'ouest d'Alexandrie et passage obligé pour tous les voyageurs désirant se rendre à Siwa, là où je suis en ce moment.
En arrivant au centre-ville de Matrou j'y trouve l'armée gardant le seul guichet automatique fonctionnel et occupant la rue principale, bloquant ainsi l'accès aux édifices administratifs de la ville. Absolument toutes les stations d'essence sont à sec de gazoline et je roule sur la réserve depuis près de 50 kilomètres. En approchant lentement du premier hôtel en vue, Joe son tenancier, un fort sympathique égyptien/américain parlant un anglais impeccable, m'invite à entrer. À £20 livres égyptiennes la nuit ($3.50 CAD) on s'entend que ce n'est pas un palace, mais c'est au cœur même de cette ville grouillante et Joe est tellement accueillant que j'y suis resté deux jours.

 C'est en discutant avec lui que j'ai fini par décidé de traverser 300 kilomètres de désert pour me rendre dans le plus bel oasis d'Égypte. On soupçonne, encore aujourd'hui, que les tombeaux creusés dans les montagnes de sable avoisinantes, renfermeraient les restes d'Alexandre Le Grand. Le village semble vivre à un autre rythme, à une autre époque. Les quelques étrangers atterris ici et tous les égyptiens sont unanimes pour dire que c'est l'endroit le plus calme et le plus sécuritaire du pays dans les circonstances actuelles. 
Dès mon arrivée ici j'ai rencontré, à la station d'essence du village, un français qui voyage en solitaire avec un genre de jeep Mercedes tout terrain. Il est sur le chemin du retour après un périple de quatre mois en Afrique noir. Le bateau qui devait le ramener d'Alexandrie jusqu'à Venise en Italie, tarde à venir s'amarrer en Égypte. On a réussi à se négocier chacun une très belle chambre à l'hôtel Paradise, un endroit magnifique d'une centaine de chambres à deux pas du centre du village. Nous ne sommes que deux et le propriétaire s'occupe chaleureusement de nous. Il est plein de ressources pour nous suggérer les plus beaux coins à voir dans la région. Il y a un immense lac d'eau salé tout à côté, alimenté par plusieurs sources chaudes. 
Le village s'est construit autour des ruines d'une ville médiévale faites de pierres et de boue, détruite par une grande pluie il y a de cela plusieurs centaines d'années.
 Avant de partir de Matrou, Joe m'avait assuré qu'il ne pleuvait jamais à Siwa. Et bien figuré vous donc que la pluie tombe maintenant sans arrêt depuis plus de vingt heures consécutives et que pour plusieurs jeunes dans la vingtaine, c'est la première fois de leur vie qu'ils voient çà! Les rues du village sont couvertes de boue et de flaques souvent infranchissables. Un bédouin m'a dit que la pluie est venue laver le pays de sa souffrance. Si demain le soleil brille peut-être bien que le dictateur cèdera enfin et laissera sa place à quelqu'un de bienveillant, ou à un nouveau pharaon...?
En attendant, moi, j'ai décidé de goûter autant que je le pourrai à la gentillesse égyptienne. Mon visa est valide pour un mois et j'ai bien l'intention de voir autant que possible les trésors de cette civilisation passée. D'écouter leur joie qui résonne au moment de s'affranchir d'un tyran, s'emparant enfin de leurs droits, leurs libertés et leurs richesses. Je n'irai pas sauter dans la mêlée avec eux, ce n'est pas mon combat, mais je n'ai nullement le sentiment d'avoir à fuir quoi que soit. C'est même assez réconfortant de rencontrer un peuple qui sort de sa torpeur et qui se décide enfin à agir face à son avenir, contrairement à nos sociétés dites démocratiques, engluées par le verbiage perfide de nos politiciens de plus en plus ouvertement verreux. En attendant la suite je vais jouer au p'tit gars dans un grand carré de sable avec son bécyk !



Be slama !