13 mai 2013

Surprises sur Sumatra

Il en aura fallu du temps avant de pouvoir traverser les 200 km qui séparent la Malaisie et l'Indonésie dans la partie étroite du détroit de Malacca. Nous avions établi un contact avec M Lim à Penang qui organise la traversée pour de nombreux motards à un tarif raisonnable et des procédures relativement simples. M Lim nous avait informé que la traversée s'effectuait 1 fois par semaine, le samedi, et que nous devions lui amener les motos à Penang le mercredi pour effectuer le chargement sur le bateau.
Jinsang sous le regard attentif de Deniz

En quittant Johor Baru on disposait d'une grosse semaine avant de retourner à Penang et nous avons saisi l'opportunité pour revenir vers Kuala Lumpur par la côte Est de la Malaisie. Nous souhaitions aussi en profiter pour visiter l'atelier Sunny Cycle et faire une révision mécanique complète avant de s'aventurer en territoire moins BMW « friendly ». Les chaînes des motos avaient besoin d'être changées, 1 pneu, 1 batterie, les plaquettes des freins, bref une bonne mise à jour. Jinsang, le fils mécanicien de Sunny, lui-même motocycliste aguerri, m'informa que le disque d'embrayage de ma Marseillaise avait fait son temps. Comme j'étais rassuré par leur compétence et leurs tarifs équitables, nous avons sauté sur l'occasion. 
Sunny and Co.

Nous voilà prêt pour retourner à Penang quand je m’aperçoit que le changement de batterie n'a pas réglé mon problème de charge. Il n'y a ensuite que 2 possibilités assez majeures : le régulateur de voltage ou la bobine de l'alternateur. Sunny n'a pas ces pièces en stock. Je fais donc appel à mon sauveur Roger à Montréal. Par le temps qu'on trouve une solution M Lim nous avise qu'il peut nous attendre jusqu'à vendredi pour embarquer les motos, mais pas plus et qu'il n'y aura pas de service la semaine suivante, les traversées par bateau ayant perdu de leur attrait du fait des liaisons aériennes bon marché et très fréquentes. Le temps nous joue un sacré tour. 
La bobine grillé
Il s'avérera que c'est la bobine d'alternateur qui est grillée et c'est impossible d'en avoir une dans un délai qui nous permettrais de nous rendre à Penang pour le vendredi. La pièce originale chez BMW vient avec un kit complet d'aimant et coûte une somme faramineusement BMW. Sunny m'offre de faire reconditionner ma bobine grillée pour la somme de $100 et ce sera prêt dans 2 jours. La réflexion fut de courte durée : mon papa mécano faisait toujours refaire les bobines et ça durait bien assez longtemps. Sauf qu'on a manqué le bateau de M Lim. J'étais aussi en contact avec un dénommé Izainil qui agissait comme agent pour organiser la traversée de motos avec le ferry pour passagers depuis Port Klang, à tout juste 30 km de Kuala Lumpur. Les communications avec lui étaient difficiles, manquant d'informations et pour finir désagréables. Quand les motos furent enfin « top shape », on a décidé de se rendre en personne à Port Klang et de voir comment on pouvait s'organiser nous-même. 
La descente qui mène à la porte du traversier

Ce fut un peu plus de travail pour nous mais somme toute une aventure extraordinaire que d'embarquer nos « grosses » montures dans l'allée d'un traversier de passager, en descendant les escaliers des embarcadères pas prévus pour ça. Une fois la douanes passée pas question de se faire rembourser le ticket si les motos ne pouvaient pas entrer par la petite porte du bateau. Les guidons étaient trop larges, mais en faisant un petit « twist » ça passait, parole de déménageur.
Les motos à l'étroit dans le portique du traversier

Le bateau est parti avec 2 heures de retard et il a fallu presque 5 heures pour arriver à Tanjung Balai, tout petit port de Sumatra sur la côte Est. De débarquer les motos par l'escalier à pic sur le quai minuscule et de s'affranchir des formalités de douane sous le regard émerveillé d'un foule hétéroclite de voyageurs et de douaniers perplexes, ne fut pas une simple tâche. Il a fallu faire passer les motos par l'intérieur du bâtiment et soumettre au scan chacun de nos sacs et chacune de nos caisses. 
Passée au peigne fin
Tous les douaniers étaient très avenant, mais nous n'avons pu quitter le port avant 19 heure, sous une faible pluie, à la tombée du jour, avec une bonne demi-heure de route à parcourir avant d'espérer trouver un hôtel. 
La sortie du traversier n'était pas plus aisée

Les routes Indonésiennes sont réputées pour être parmi les plus dangereuses de la planète à cause du chaos permanent qui y règne. Imaginez de nuit, sous la pluie et exténué pour notre première randonné! Le grand hôtel de Tanjung Balai nous a fait l'effet d'un mirage dans la noirceur rurale. On s'y est échoué pour 2 nuits, le temps de digérer notre arrivée et de préparer cette nouvelle étape de notre aventure. 
Tanjung Balai au petit matin

Au matin, après un surprenant petit-déjeuner, on a eu vite fait de trouver tout ce dont on avait besoin dans la petite ville que nous avions traversé la veille. Un guichet, des cartes SIM pour nos téléphones et une pour l'internet et quelques fruits pour nos estomacs au combat. On était « greillé » pour partir loin.
Le lac Danau Toba
En direction de la côte Ouest de Sumatra, le lac Toba, long d'une centaine de kilomètres, apparaît bien paisible pour un des plus grands super volcan du globe terrestre. Niché à plus de 1000 mètres d'altitude, c'était l'endroit idéal pour tomber en panne. En arrivant à moins de 1 kilomètre du village de Parapat, on décide de faire une pause thé/photo et pfffuit, plus rien ne fonctionne sur la moto de Deniz. 
Tesla tout nu

Je sors l'attirail d'outils pour m’apercevoir rapidement que je ne trouverai pas le problème et encore moins la solution, dans un court laps de temps. J'abandonne Deniz au soins du cantinier pour aller quérir un endroit où nous installer et de l'aide pour y traîner la bécane récalcitrante. Les gens de l'hôtel ont été d'une gentillesse indescriptible et ils sont venu à 3 hommes et une fourgonnette pour ramener Tesla dans la cour. Quand j'ai voulu les rétribuer pour le service ils n'ont rien voulu entendre.
Le relais fauteur de trouble

Une fois de plus, mon sauveur Roger et Sunny et sa famille, ont été mis à contribution pour nous aider à trouver la source du problème avant de tenter de le régler. Après 4 jours d'échange de courriels, de téléphones et de divers essais pas concluant, j'ai fini par découvrir l'élément fautif : le relais du démarreur. C'est en faisant une course au village avec le relais en question dans mes poches que j’aperçois 2 jeeps équipées pour une sérieuse expédition, stationnées près d'un petit hôtel, la transmission d'une des deux jeeps en petits morceaux sur la véranda. 
M Leo et sa famille, fier fondateur du "Bikers Brotherhood"
Les deux jeunes indonésiens ont eu tôt fait de me présenter au « chef » du groupe, M Leo, un membre fondateur du « Bikers Brotherhood of Indonesia », un genre de gentil Hell's Angels. Il est très enthousiaste de faire ma connaissance et celui des 2 jeunes indonésiens qui s'avère être le mécano de l'expédition, me répare le relais défectueux en un temps trois mouvements. Pour les remercier de ne pas avoir à nous faire expédier un minuscule relais et d'attendre 1 semaine de plus dans ce paradis perdu, on les invite tous à souper. Ils sont 8 en incluant sa femme Rica et leurs 2 enfants qui voyagent avec eux. Au fil de la soirée, M Leo organise même pour le lendemain l'expédition d'une batterie neuve par un contact à lui à Medan, et nous fourni quelques numéro de téléphones qui pourraient nous être utile en cas de pépin, ou simplement pour nous accueillir tout au long de notre route.
Une petite pause après un bout ardu

C'était le moment de renouer avec la rocambolesque route indonésienne et de nous rendre à Sibolga, sur la côte Ouest. Elle est parfois impeccable et sinueuse comme dans les Alpes, d'autres fois éventrée par l'interminable défilé de poids lourds qui la sillonne frénétiquement. Les innombrables villages qui jalonne le parcours constituent autant de possibilités de voir surgir les chèvres, chiens, vaches, mormons à bicyclette, livreurs de charbon ou de poisson, écolières voilées et insouciantes, c'est une occasion impérative pour nous de pratiquer la « pleine conscience », un question de survie. 

Joyeuse rencontre sur une route intense
Les distances à parcourir chaque jour pour atteindre une ville où on trouvera un hôtel ne sont pas très grandes, mais notre vitesse moyenne de 50 km/h et la chaleur intense nous limite à maximum 300 km par jour. La fin de journée est immanquablement marquée par une bonne averse, voir souvent diluvienne, ce qui rend notre quotidien exténuant.
Nous nous sommes arrêté à Bukittingi 2 jours et 3 nuits après une intense randonnée de 12 heures dont les 3 dernières dans la noirceur sous une pluie battante. Impossible de trouver un endroit où se poser sur les derniers 60 kilomètres.
La baie de Padang sur la côte Ouest de Sumatra

Assez charmant comme petite ville Bukittingi. 2 volcans à proximité et le lac Maninjau dont nous avons fait le tour juste avant de se faire encore surprendre par la grosse averse de fin d'après-midi en rentrant. De Bukittingi jusqu'à Bengkulu c'est plus de 600 kilomètres sur une routes magnifique qui longe l'océan Indien le plus souvent. On a fait étape dans un bled dont on ne se souvient pas du nom, à environ 80 kilomètres de Mukomuko, si ça peut vous situer.
Rizière bucolique tout au long de notre route

Un attroupement spontané

Le simple fait se s'arrêter un moment dans une agglomération à vite fait de créer un petit attroupement autour des motos et une cascade de question par ceux qui connaissent quelques rudiments d'anglais. Tout le monde veut avoir sa photo avec nous et on doit parfois faire preuve d'imagination pour trouver un coin tranquille pour prendre une pause sans se faire photographier par les aborigènes pour leur page facebook. C'est le monde à l'envers!
Après Bengkulu, il nous restait encore plus de 800 km avant d'arriver au port de Bakauheni où il y a le traversier qui nous dépose sur l'île de Java. 

Une petite route fort surprenante
On a dû faire escale à Lahat et encore à Kotabumi avant de parcourir les infernales derniers 200 km de cette route. Le défilé constant de gros camions de tous genres, exhalant d'immenses nuages noirs en peinant à monter à les côtes, suivi par une multitude de véhicules toutes catégories confondues, a fini par nous faire rêver désespérément d'air pur. Ici, aucune règle routière ne s'applique : on dépasse à gauche, à droite, sur l’accotement quand il y en a un, dans le gravier quand il n'y en a pas, deux de large quand le temps et l'espace nous le permettent, tout est permis et le but est de se trouver en avant du peloton.
Transport en commun hyper Hi-tech

Quand on s'est arrêté à Kotabumi, c'est ma Marseillaise qui a eu une rechute du système de charge : décidément notre séjour sur Sumatra s'avère dur pour les systèmes électriques! J'ai mis la batterie sur la charge toute la nuit en espérant que sa tiendrait le coup jusqu'à Jakarta. J'ai débranché le phare pour soulager le système, mais je soupçonne la bobine d'avoir à nouveau souffert de la chaleur.
M Leo nous a mis en contact avec Momon qui nous attendait impatiemment. Il est lui-même un grand aventurier dans son pays, fervent motocycliste (il en a une pareille à celle de Deniz!), il habite avec sa petite famille dans une magnifique et tranquille propriété (fioufff!) dans la banlieue Sud-Est de Jakarta. 

La grande famille de Momon
Nous ayant fourni les coordonnées de sa résidence, nous avons sonné à sa porte après avoir parcouru illégalement les 100 km qui séparent Merak et Jakarta sur l'autoroute à péages, interdite aux motocyclettes. 
Quand la police nous a interpellé, à peine 10 km avant d'arriver à destination, j'ai sorti mon meilleur français pour leur expliquer que c'était la route proposée par le GPS, que nous ne voulions pas nous égarer à Jakarta, que dans tous les autres pays nos grosses motos sont habiletés à circuler sur les voies rapides, bref qu'il était impensable d'envisager un autre itinéraire. Décontenancé par mon « incompréhension » de la langue de Shakespeare et mon charabia francophone, ils nous ont escorté sur 4 ou 5 km avant de nous laisser aller, rassurés par notre conduite.
L'équipe prête à s'élancer dans les flots 

Après sa retraite de Caterpillar, Momon à démarrer une petite entreprise qui offre une formation spécialisée dans la conduite de véhicules tout terrain « hors route ». Leur formation est devenu obligatoire pour circuler sur les chantiers des nombreuses mines d'Indonésie. Il est une source inépuisable d'informations concernant toutes les facettes de la culture indonésienne puisqu'il l'a parcouru dans tous les sens. Momon et sa famille sont d'une infinie générosité, comme des anges tombés du ciel. Malgré toute mon imagination je ne suis arrivé qu'une seule fois à payer quelque chose. Il nous a trimbalé dimanche jusqu'au centre de Java pour y faire une descente de rafting mémorable et prend soin que chacun de nos repas soit une occasion de découvrir une spécialité indonésienne. 
Rizière, encore une autre, mais on ne s'en lasse jamais
On aurait volontiers accepté de rester ici plus longtemps si nous avions plus de temps à notre disposition. On commence à réaliser que deux mois seront loin d'être suffisant pour découvrir l'Indonésie : c'est une année entière qu'il nous faudrait! On y reviendra pour sûr...
La baie de Sibolga

On part demain retrouver M Leo et sa famille dans leur fief à Bandung, à « seulement » 2 ou 3 heures de route de Jakarta. On a pris l'habitude de partir très tôt pour profiter de la fraîcheur du matin et de la circulation un tout petit peu moins intense à cette heure là. Java nous semble bien différente de Sumatra, et paraît-il qu'il en est ainsi de toute l'Indonésie, une palette de cultures aussi nombreuse qu'elle compte d'îles. Ça en fait de la diversité culturelle à découvrir!


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